Dans la première partie de l’article publié vendredi dernier, nous avons vu l’importance de l’offre artistique et culturelle, dont je demeure persuadée qu’une petite partie, circonscrite, est concernée aujourd’hui par la destination touristique, alors même que des offres différentes, décalées, différentes, diversifiées, innovantes, pourraient être imaginées en local avec le terreau artistique et l’ingénierie culturelle en présence. Et le numérique pourrait y jouer en partie un rôle non négligeable. Parmi les questions qui se posent : comment susciter le désir de la destination culturelle par la culture elle-même ? comment enrichir l’expérience de l’usager sans le perdre ? et comment de façon plus ambitieuse, imaginer de nouvelles expériences touristiques où les mécanismes du transmédia pourraient être mis à profit ?
Susciter le désir de la destination culturelle
La première partie de cet article se concluait sur teaser produit par Le Voyage à Nantes.
“Everybody” (version FR) from levoyageanantes on Vimeo.
Le Voyage à Nantes est un exemple intéressant d’une stratégie de communication centrée sur la fabrique d’une identité culturelle, et même d’un certain univers propre, qui se construirait un peu à la manière d’une maison de couture et de son directeur artistique. Nantes et sa métropole ont fait le pari de l’attractivité du territoire par son identité culturelle depuis de nombreuses années.Déjà reconnue à l’extérieur par les professionnels comme une ville de culture, l’essai a été transformé sur le grand public quand Culture et Tourisme se sont rapprochés dans un établissement public commun, Le Voyage à Nantes, qui est aussi devenu une marque. Toute la stratégie de communication et de promotion de LVAN est soucieuse de raconter l’histoire d’une ville intrinsèquement artistique, qui vous propose un voyage artistique et pas uniquement une offre culturelle. Sa force est de faire produire l’ensemble de ses outils par des auteurs, et de le faire savoir. Quand Nantes a besoin de vidéos promotionnelles sur la ville, elle les commande donc au musicien et réalisateur de clips Gaëtan Chataigner,qui est reconnu et primé pour son travail avec Philip Katerine, Sébastien Tellier ou encore Etienne Daho. “Et il vit à Nantes” précise-t-on.
Quand LVAN a besoin d’images de la ville pour communiquer, elle passe commande à des photographes de renoms comme Karen Knorr ou Olivier Metzger à qui elle leur donne carte blanche pour saisir le territoire à travers leur regard d’auteurs.
La presse nationale et internationale relaie l’information, en fait un sujet, la commande artistique devient une actualité, et en parlant de ces artistes et du projet, bien évidemment, on parle du territoire.
La notoriété et/ou le parti pris artistique de l’auteur qui va fabriquer les outils de promotion du territoire donne donc de la valeur au territoire et vient confirmer son argument marketing : Nantes, un voyage culturel. “Nous préférons mettre de l’argent à produire des médias ou un événement artistique sur le territoire, dont la presse va s’emparer et raconter l’histoire plutôt que d’acheter des espaces publicitaires. Nous avons la volonté de produire des objets de valeurs et ces objets de valeurs, cette poésie qu’on va communiquer va se propager et contaminer la sphère numérique” confirme Aurélie Peneau, directrice du développement touristique.
Mais tout le monde n’a pas la force de frappe de Nantes, bien sûr. Pour autant, le potentiel d’une identité culturelle n’appartient pas qu’aux grands territoires, et de nombreuses petites villes ou villages pourraient travailler sur leur “actif culturel” pour trouver une façon de raconter une histoire autrement, et surtout de la faire savoir. Cela bien sûr nécessite de travailler main dans la main entre porteurs de projets culturels et opérateurs touristiques.
Enrichir l’expérience de l’usager … sans le perdre !
De nombreux dispositifs de médiation et de valorisation numériques sont proposés dans les lieux d’accueil du public au côté de l’audioguide classique : dispositifs géolocalisés vous signalant les points d’intérêts durant votre balade ou aux moyens de QR codes , livres compagnons pour enrichir vos visites, dispositifs virtuels en 3D reconstituant des patrimoines en ruines, balades numériques, bornes NFC au Museum of London, dispositifs immersifs au musée du Louvre permettant d’entrée dans la perspective des peintures…
la liste est longue et non exhaustive. Dans le courant des hackathons, les museomix proposent d’imaginer, avec des groupes d’usagers, de professionnels des musées et de créatifs, les outils de médiation de demain. De nombreuses idées de prototypes ont ainsi émergé au Musée Borely comme ce paper doll numérique.
https://www.youtube.com/watch?v=7schoOeBtoM
Parfois néanmoins, la question peut se poser de l’usage réel de ces dispositifs par le public : on trouve généralement très excitant qu’ils nous soient proposés, et on en parle, mais une fois dans la situation, la réalité de leur utilisation est moins évidente, parfois peut être car l’innovation d’usage est telle qu’elle peut rencontrer des freins, mais aussi parce que le dispositif numérique peut finalement pertuber ou compliquer la simple découverte de l’œuvre, ou la visite du site.
Imaginer de nouvelles expériences touristiques ? par le transmédia ?
On le voit avec l’exemple de Nantes, les producteurs de contenus médias ont un rôle fondamental à jouer dans l’accompagnement des stratégies numériques de promotion du territoire. Et parmi eux, certains ont vraiment une approche particulière de la narration, conçue dans une ambiguïté permanente entre la fiction et la réalité, avec la volonté de produire des médias de qualité, multi-supports, une vraie place donnée à l’auteur, et un engagement du public qui prend ses racines dans les mécanismes du jeu vidéo. Eric Viennot, célèbre auteur et producteur transmédia et fondateur de l’agence Imprudence, dit à ce sujet : “Le développement considérable des réseaux haut débit et la démocratisation des appareils mobiles géolocalisés (smartphones et tablettes) permettent de plonger les utilisateurs dans de nouvelles formes d’expériences interactives et participatives qui utilisent l’espace urbain comme support ludique et narratif”.
On peut dès lors imaginer que le territoire devienne le terrain de jeux de nombreuses aventures, où le touriste est invité à vivre des expériences où s’entremêlent fiction et réalité documentée. C’est d’ailleurs ce type de dispositif que son associé Julien Tauvel étaillera lors de sa venue à VEM. Ces architectes transmédia viennent d’univers où la notion d’audience est largement intégrée. Ils ont ainsi le savoir-faire pour déployer autour du projet toute la communication virale nécessaire, pour susciter le désir de vivre l’expérience. Mais on peut s’inquiéter des moyens pour mettre en œuvre de tels projets : est-on obligatoirement dans des budgets et des formats de productions audiovisuelles léchées quand on parle de transmédia ? C’est ce que l’on pourra creuser également avec Arnaud Hacquin ou encore à Nathalie Paquet durant les ateliers de VEM.
En somme, le pari à relever serait de mettre en synergie sur un territoire artiste, auteur et producteur transmédia avec les acteurs du tourisme pour imaginer ensemble une stratégie et un mode opératoire communs pour fabriquer de l’imaginaire, fabriquer de la valeur, proposer des expériences touristiques innovantes et de nouveaux services tout en produisant les meilleurs outils pour le faire savoir ?
Une idée à creuser sur le Barcamp dédié au tourisme et à la culture.